Le nouvel accord de gouvernement introduit un large éventail de changements fiscaux destinés à moderniser et à clarifier le paysage fiscal belge. Réparties en plusieurs volets, ces réformes touchent aussi bien la taxation des plus-values financières que la simplification des règles de TVA, en passant par la révision de régimes existants comme les RDT ou le régime des droits d’auteur. L’objectif affiché est de favoriser la transparence, d’augmenter l’équité du système fiscal et de stimuler l’investissement, tout en veillant à la conformité avec le droit européen.
Sans vouloir préjuger de la conclusion, il convient de souligner qu’il s’agit d’un accord de gouvernement et non d’une loi. Tous les points négociés entre les différents partis de la coalition devront bien entendu suivre leur parcours législatif normal, dont l’issue effective conditionnera l’entrée en vigueur des réformes annoncées.
Ce résumé propose une synthèse de quelques-unes des mesures phares contenues dans l’accord de gouvernement du 31 janvier dernier.
1. Réforme du régime RDT (Revenus Définitivement Taxés)
Le régime RDT, historiquement conçu pour éviter la double imposition des dividendes au niveau des sociétés, va connaître des modifications substantielles. Désormais, plutôt que de procéder via une déduction, l’exonération des dividendes éligibles se fera par majoration de la situation de début des réserves. Concrètement, cela signifie que le dividende perçu, s’il remplit les conditions requises, sera purement et simplement exclu du bénéfice imposable, et viendra augmenter les réserves de la société.
Les conditions liées à la participation minimale (10% du capital de la société distributrice ou, auparavant, 2,5 millions d’euros) vont être révisées : pour les relations entre grandes entreprises, le seuil monétaire serait porté à 4 millions d’euros. On note également le rétablissement de la condition d’immobilisation financière, un critère déjà remis en cause par la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE par le passé. Cela pourrait potentiellement engendrer de nouveaux conflits quant à la conformité au droit européen.
Par ailleurs, la taxation des SICAV RDT fait également l’objet d’ajustements : une taxe de 5% sur les plus-values à la sortie est envisagée. De plus, pour conserver le bénéfice du précompte mobilier réduit, la société versant le dividende devra prouver qu’elle octroie à son dirigeant une rémunération suffisante (minimum 50’000 euros).
2. Taxe annuelle sur les comptes-titres (TACT)
La taxe sur les comptes-titres, actuellement fixée à 0,15%, demeure inchangée. Les autorités entendent vérifier les éventuels montages abusifs (p. ex. morcellement des comptes) et veiller à ce que l’imposition demeure effective, comme le rapport de la Cour des comptes sur le sujet le préconisait.
3. Contribution de solidarité de 10% sur les plus-values financières
L’une des mesures les plus marquantes de cet accord est l’instauration d’une « contribution générale de solidarité » s’élevant à 10% sur les plus-values financières. Cette taxe concerne un large éventail d’instruments, y compris les cryptomonnaies. Elle vise cependant uniquement les gains futurs : il n’est pas question de rétroactivité, ce qui veut dire que seules les plus-values réalisées après l’entrée en vigueur de la loi seront concernées.
Pour tenir compte de la volonté de préserver l’épargne du petit investisseur, une exonération de 10’000 euros est introduite (avec indexation annuelle prévue). Au-delà de ce seuil, tout gain est soumis à la contribution de 10%.
Un régime spécifique est prévu pour les actionnaires détenant une participation importante (au moins 20% du capital d’une société) : dans ce cas, une exonération de 1 million d’euros de plus-values est prévue.
Au-delà, un barème progressif est prévu pour les plus-values :
- De 1 et 2,5 millions €: 1,25%,
- De 2,5 à 5 millions € : 2,50%
- De 5 à 10 millions € : 5%
- Au-delà de 10 millions € : 10%
Par ailleurs, si une moins-value intervient sur un portefeuille financier, elle ne sera déductible que dans l’année où elle se produit, sans possibilité de report sur les exercices ultérieurs. Cette disposition suscite déjà des interrogations, puisqu’elle peut pénaliser des investisseurs ayant subi de lourdes pertes dans une année donnée sans pouvoir les compenser à l’avenir.
Enfin, il reste plusieurs points à clarifier. La Belgique connaît déjà des régimes d’imposition de la plus-value (par exemple un taux de 33% dans certains cas de plus-value réalisée en dehors de la gestion normale d’un patrimoine privé, ou encore un taux réduit de 16,5% lors de la cession d’une participation importante à une entité établie hors Espace économique européen). Il est donc crucial de définir comment cette nouvelle contribution s’articulera avec les règles existantes, comme celles qui concernent les apports d’actions à un holding, la Directive Fusion ou encore celle qui concernent les fonds obligataires et mixtes taxés selon le mécanisme de l’article 19bis CIR.
4. Déduction fédérale des intérêts
La déduction fédérale des intérêts pour les logements autres que la résidence principale va disparaître.
5. Carried interest.
La notion de carried interest fait référence à la part de gains qu’un gérant de fonds de private equity ou de venture capital perçoit en plus de ses rémunérations fixes, lorsque les investissements dépassent certains seuils de performance. L’accord de gouvernement prévoit l’introduction d’un régime spécifique et compétitif permettant une imposition maximale de 30% en revenus mobiliers.
Il convient cependant de noter aujourd’hui déjà, lorsque les parts de carried interest sont souscrites à leur juste valeur de marché, l’administration fiscale considère qu’elles relèvent de la catégorie des revenus mobiliers, généralement taxés au taux de 30% (voire 15% en VVPRbis).
6. Exit tax
Le transfert par une personne morale de sa résidence fiscale vers un autre pays sera traité fiscalement comme une liquidation fictive, avec application du précompte mobilier. Concrètement, cela pourrait entraîner une double imposition : d’abord, une liquidation fictive au niveau de la personne morale, puis une taxation potentielle au niveau des actionnaires si les conditions sont remplies.
Ce dispositif, déjà controversé dans d’autres pays de l’UE, soulève des questions quant à la compatibilité avec la liberté d’établissement garantie par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. De plus, certaines conventions préventives de la double imposition pourraient rendre le dispositif inapplicable. Une clarification serait donc bienvenue pour savoir comment le gouvernement entend concilier ces règles avec les obligations internationales de la Belgique.
7. Harmonisation VVPRbis et réserves de liquidation
La réserve de liquidation et le régime VVPRbis poursuivent un objectif similaire : accorder un avantage (taux réduit de précompte mobilier) aux PME qui conservent leurs bénéfices en réserve pendant une certaine période, afin de soutenir leur capacité d’autofinancement. Dans l’accord, plusieurs mesures viennent harmoniser ces deux systèmes :
- Période d’attente plus courte pour la réserve de liquidation : on passerait de 5 à 3 ans avant de pouvoir distribuer les sommes avec un taux réduit de précompte mobilier.
- Augmentation du taux : le taux pour la réserve de liquidation passerait de 5 à 6,5% à partir de 2026. En pratique, le taux effectif grimpera de 13,64% à 15%, s’alignant sur celui du VVPRbis.
- En cas de distribution anticipée (avant les 3 ans), le précompte mobilier au taux ordinaire de 30% sera d’application.
8. Rémunération minimale des dirigeants d’entreprise
Le gouvernement entend augmenter le seuil de la rémunération minimale des dirigeants d’entreprises pour l’application du taux réduit à 20% sur les premiers 100’000 euros de bénéfice. Celui-ci passera de 45’000 euros à 50’000 euros. Cette mesure vise à s’assurer que les dirigeants se versent une rémunération suffisante et ne contournent pas l’impôt sur les personnes physiques en privilégiant les distributions de dividendes ou autres formes de rémunération.
De plus, il est envisagé qu’un dirigeant ne puisse plus percevoir plus de 20% de sa rémunération totale sous forme d’avantages en nature, ce qui renforce le contrôle de l’administration fiscale quant à la composition de la rémunération. Cet encadrement pourrait complexifier légèrement la gestion des packages salariaux, mais participe à l’idée d’une plus grande équité fiscale.
9. Procédure fiscale : délais, sanctions et accès au PCC
La réorganisation des procédures fiscales figure parmi les priorités de l’accord. Plusieurs volets sont abordés :
- Réduction et clarification des délais de contrôle :
- En règle générale, l’administration disposerait de 3 ans pour effectuer un contrôle.
- Ce délai serait porté à 4 ans pour les déclarations dites “complexes” ou “semi-complexes”.
- En cas de fraude, le délai serait de 7 ans (8 ans pour les déclarations complexes ou semi-complexes).
- Régime de sanctions :
- Les erreurs de bonne foi, commises pour la première fois, ne seraient plus sanctionnées d’emblée, mais feraient l’objet d’un simple avertissement.
- Les majorations d’impôt pourraient rester déductibles, sauf en cas d’infractions répétées.
- Accès au Point de Contact Central de la Banque Nationale (PCC) :
- Les conditions d’accès au PCC se verraient assouplies en cas d’indices sérieux de fraude, avec un système d’autorisation interne plus simple.
- Le PCC inclura désormais des informations sur les comptes liés aux cryptomonnaies, aux comptes étrangers transmis automatiquement et aux comptes de jeux en ligne pour des montants supérieurs à 10’000 euros.
- Taxation d’office :
- En cas d’entrave volontaire à un contrôle, l’administration pourrait appliquer une taxation d’office reposant sur un bénéfice minimum, afin d’inciter le contribuable à coopérer.
- Charte du contribuable :
- L’accord entend réaffirmer le principe de confiance légitime et l’application stricte de la doctrine “Antigone”, selon laquelle les preuves obtenues illicitement dans le cadre d’un contrôle fiscal pourraient être jugées irrecevables.
10. Lutte contre les share deals concernant les sociétés immobilières
Les share deals consistent à vendre les parts d’une société détenant un immeuble plutôt que l’immeuble lui-même, afin d’éviter ou de réduire les droits d’enregistrement. La compétence en matière de droits d’enregistrement appartient aux Régions, mais l’accord précise que l’État fédéral se tient prêt à soutenir toute initiative régionale visant à lutter contre cette forme d’optimisation.
À ce jour, plusieurs dispositions anti-abus existent déjà, et les Régions pourraient durcir davantage les règles.
Toutefois, comme il s’agit d’une matière régionale, il reste à voir dans quelle mesure cet engagement se traduira dans la pratique.
11. Nouvelle régularisation (para)fiscale permanente
La Belgique a déjà connu plusieurs “DLU” (déclarations libératoires uniques) dans le passé, permettant aux contribuables de régulariser leur situation fiscale pour des montants non déclarés ou placés à l’étranger. L’accord prévoit la mise en place d’un mécanisme de régularisation permanent, assorti de taux plus élevés qu’auparavant. On parle d’un taux de prélèvement de 30% pour les capitaux non prescrits, et de 45% pour les capitaux prescrits. Cela devrait se faire en concertation avec les Régions.
Le but est d’instaurer une forme de “guichet unique” permanent, de manière à encourager les contribuables à se mettre en ordre. Une exception est envisagée pour les personnes prouvant leur bonne foi, mais les contours restent à définir.
Conclusion
Cet accord de gouvernement marque une volonté d’adaptation globale du paysage fiscal belge. Des mesures phares comme la « contribution de solidarité » de 10 % sur les plus-values financières, la réforme du régime RDT ou encore l’élargissement du régime expat sont justifiées par les partis politiques par la recherche d’un équilibre entre, d’une part, la hausse de certaines contributions (pour financer le budget et renforcer la justice fiscale) et, d’autre part, le soutien à l’investissement et à la compétitivité.
D’un point de vue pratique, l’impact pour les contribuables sera variable selon le profil, mais les détenteurs de patrimoines financiers, les actionnaires de sociétés, ainsi que certains investisseurs immobiliers faisant appel aux crédits bancaires verront de manière certaine et sensible la charge fiscale augmenter en cas de mise en œuvre des mesures annoncées.
De nombreuses zones d’ombre demeurent. La compatibilité de l’exit tax avec le droit européen, l’articulation précise du nouveau prélèvement sur les plus-values avec les régimes existants, sont autant de chantiers qui exigeront des textes législatifs précis et, souvent, des circulaires d’interprétation de l’administration. De plus, certaines innovations, comme la “DLU Quinquies” permanente, s’accompagneront nécessairement d’un cadre procédural détaillé, sous peine d’inefficacité ou de conflits juridiques. La Belgique devra donc veiller à la conformité européenne, à la cohérence interne de son système fiscal et à la nécessité de soutenir la compétitivité du pays dans un contexte international en évolution rapide. Les modalités d’application de chacune de ces mesures feront l’objet de discussions et de précisions dans les mois à venir, à l’occasion de la rédaction des lois d’exécution, de la publication des arrêtés royaux et de l’émission de circulaires administratives.