Depuis le début de l’année, les marchés financiers ont connu une déstabilisation rare, nourrie par une série d’annonces politiques dont la portée dépasse largement le cadre économique immédiat. Le tournant protectionniste initié par les États-Unis a ravivé des tensions commerciales latentes et provoqué une reconfiguration rapide des anticipations de croissance, de valorisation des actifs et d’orientation géopolitique.
Au cœur de cette dynamique, l’annonce de nouvelles barrières douanières américaines a agi comme un catalyseur de volatilité. La taxation imposée à plus de 170 pays, souvent à des niveaux historiquement inédits, a fait voler en éclats les certitudes quientouraient encore les grands principes du libre-échange. Le durcissement, notamment vis-à-vis de la Chine, avec des surtaxes dépassant 100 %, a illustré la volonté assumée d’un changement de paradigme, fondé sur une redéfinition des relations commerciales mondiales.
La réponse des marchés a été immédiate et brutale. Les grandes places boursières ont enregistré des baisses à deux chiffres enquelques jours, ramenant en mémoire les périodes les plus sombres des crises récentes. Les dernières semaines ont, à cet égard,marqué un point de rupture. Elles figurent parmi les plus volatiles de ces dernières années : les marchés ont enregistré des variations quotidiennes comprises entre 5 % et 10 %, dans un environnement qui, quelques mois plus tôt encore, semblait figé dans une stabilité quasi parfaite. Cette correction rapide, bien qu’exacerbée par des flux techniques et une liquidité dégradée, reflète un repositionnement stratégique de la part des investisseurs institutionnels, contraints de réévaluer leur exposition au risque dans un environnement devenu incertain.
Dans ce contexte, les actifs les plus exposés à la croissance mondiale ont été les premiers pénalisés. Les valeurs technologiques, longtemps moteurs des performances boursières, ont subi un désengagement marqué. Leur exposition élevée aux chaînes d’approvisionnement globalisées, conjuguée à leur forte sensibilité aux mouvements de taux d’intérêt, en a fait des cibles naturelles de prises de profits. En parallèle, les investisseurs ont réalloué vers des secteurs défensifs lequels, mieux armés pour encaisser les chocs exogènes. Les segments liés à la consommation domestique ou aux services de base ont ainsi bénéficié d’une certaine résilience, dans un environnement où la recherche de stabilité est redevenue prioritaire.
L’Europe, souvent cantonnée à un rôle secondaire dans les portefeuilles globaux, a paradoxalement tiré son épingle du jeu. Portée par un regain d’intérêt pour les actifs décorrélés de la politique américaine, mais aussi par des perspectives budgétaires plus flexibles — notamment en Allemagne, avec la levée du frein à l’endettement —, elle a vu son attractivité se renforcer. Les valorisations historiquement modestes du marché européen, combinées à une nouvelle volonté politique de soutien économique, ont permis d’absorber les chocs extérieurs avec davantage de solidité que par le passé.
Sur le front obligataire, la volatilité a également été marquée. Aux États-Unis, les taux longs ont d’abord reculé, reflétant un affaiblissement des perspectives de croissance, avant de repartir nettement à la hausse, sous l’effet combiné de craintes liées aucreusement du déficit budgétaire et d’anticipations d’une politique monétaire plus restrictive que prévu. En Europe, les rendementsont initialement progressé, portés par des perspectives d’émissions accrues dans un contexte de relâchement budgétaire danscertains pays. Ce mouvement haussier a toutefois été suivi d’un repli sensible, en particulier en Allemagne, où le Bund continue de jouer son rôle d’actif refuge. Dans un environnement incertain, il reste une destination privilégiée pour les flux institutionnels, exerçant une pression baissière sur les taux.
Sur le marché des changes, les tensions commerciales ont provoqué un réalignement significatif. Le dollar, pourtant considéré commeun actif défensif, s’est affaibli face aux principales devises, signal d’un repositionnement global des capitaux. L’or, de son côté, apleinement joué son rôle de couverture contre l’incertitude, atteignant de nouveaux sommets. Le franc suisse s’est également renforcé, confirmant son rôle de valeur refuge lors de phases de stress. Enfin, certaines matières premières industrielles, comme le cuivre, ont bénéficié d’achats spéculatifs anticipant une relance hors des États-Unis. Ces mouvements reflètent une diversificationaccrue des allocations en réponse à un environnement géopolitique devenu structurellement instable.
Dans ce contexte mouvant, la gestion de portefeuille requiert plus que jamais agilité et discernement. L’enjeu consiste à distinguer les ajustements de surface des transformations structurelles. Le recul des marchés américains, aussi spectaculaire soit-il, ne doit pas masquer le fait que la baisse a principalement concerné les valeurs les plus chèrement valorisées, souvent après plusieurstrimestres de performances exceptionnelles. Ce rééquilibrage, dans une certaine mesure sain, ouvre la voie à une reconstitution sélective des positions sur des niveaux de valorisation plus raisonnables. Le repositionnement en faveur des actions européennes et suisses apparaît comme une réponse rationnelle à la nouvelle donne. Ces marchés offrent non seulement une visibilité accrue sur les politiques économiques à venir, mais aussi une exposition plus ciblée aux thématiques de réindustrialisation, de sécurité énergétique et de relocalisation stratégique. Des tendances structurelles qui pourraient s’amplifier si le protectionnisme américain venait à se durcir.
Enfin, il serait erroné de considérer les tensions actuelles comme un simple épisode passager. Les choix stratégiques del’administration américaine, s’ils devaient se prolonger, pourraient redessiner durablement les flux de capitaux, les chaînes d’approvisionnement et les zones d’influence. Dans ce nouveau contexte, la capacité d’anticipation, la réactivité tactique et la sélectivité restent les piliers d’une gestion performante.
La période actuelle n’est donc pas seulement celle d’une correction, mais peut-être celle d’une transition. Un changement de régime dans l’ordre économique mondial, où les arbitrages ne se font plus uniquement sur la base des fondamentaux, mais aussi en fonction des rapports de force géopolitiques. Plus que jamais, l’allocation d’actifs devient un exercice de haute précision.